jeudi 9 janvier 2014

Et si j'immortalise cette vie d'automne, il y aura tu sais, sur mes clichés le vide, après nos soirées, le vide après les whiskies-coca de nos soirées enfumées. Il y aura mon coeur qui vascille sur la place d'Antibes un matin de Toussaint,et puis le flou. Il y aura tu sais sur ces clichés, de la pénombre, celle de mes nuits de veille et celle de mes paupières closes, sommeil d'artifice. Je ne sais plus dormir tu sais, depuis ça, depuis l'abjecte, l'acide, le silence.

Il y aura la valse des femmes de la nuit qui tentent de garder l'équilibre entre les vies qui chancellent.
Celles que j'enserre pour un peu de chaleur, parce que je ne sais pas danser, encore, entre la vie et la mort. Le tempo me semble fou. Le cliquetis de l'automatisme de la lumière qui diffuse dans les couloirs une clarté blafarde, malade, palliative.
Il y aura aussi, des photos surrannées, aux contours morcellés. L'acide dans les cerveaux, ma voix qui chuchote dans la nuit, la guerre est finie Louise.
Je remplis à la hâte des papiers qui condamnent l'Homme à n'être plus. Je voudrais leur demander à ses vieillards si ça passe vite, la vie. Si c'était il y a si longtemps, les photos sépias sur la table de nuit, les amours, les chats et les enfants qui paraissent.

Et si de ma vie, je garde les clichés, certains seront perforés, trois petits impacts de balles dans mon coeur, des mains qui s'accrochent à ma peau blanche et trois étoiles dans mon firmament.
J'ai serré un enfant dans mes bras, j'ai embrassé ses boucles brunes, je lui ai dit que ça irait, il s'est accroché un peu plus fort et s'est blotti dans mon cou. Je lui ai cherché des chaussettes, j'ai fini par envelopper ses pieds dans une serviette, je ne voulais pas qu'il ait froid. Maintenant, c'est sûr, il n'aura plus jamais chaud, plus jamais faim, plus jamais mal,
plus jamais froid. J'ai passé la main dans ses cheveux d'ébène et je l'ai regardé manger, j'aurai voulu l'éteindre, il n'aurait pas compris.
Depuis, tu sais, je passe mes nuits à ne pas oublier.

Il y aura des paysages qui défilent, des gares et des mots, des livres avalés, choisis, pretés. Il y a aura Merveille que j'étreins trop fort quand le monde va trop vite. Il y aura des courses folles dans les couloirs sombres, des rires et des confidences, des courses de tabourets roulants et de la bienveillance c'est sur. Des femmes qui veillent comme des mères, sur mes premiers tout petits pas d'infirmière.

Il m'en aura fallu du temps, pour renoncer. Me dire qu'un jour tu auras des enfants, un jour, peut-être j'en aurai aussi. Mais nous n'en aurons pas. Ils n'auront pas tes yeux noirs, tes cheveux épais et tes mains de cuir qui savaient si bien courir le long du corps de mes dix huit ans. Pas non plus ton optimisme énervant, ta gentillesse outrancière et ta façon de cueillir tes mots dans des champs de maladresse, de cueillir tes mots, de soigner mes maux. Ils seront moi mais ils ne seront pas de toi. Ils n'auront pas ton nom apposé au mien, pas nés de ton corps délicieusement apposé au mien.

A qui donner maintenant ce corps, ce champ de bataille amnistiée, ce paysage aux vallons barrés de sillons, où tu voyageais ; témoin de l'acharnement d'un Homme à faire vivre un nourrisson, de la vie jaillissant encore de l'infecte pourriture.
J'ai appris peu après, que tu avais trouvé un travail, tu aidais les médecins à faire naître les enfants dans un bloc opératoire, que tu plongeais les mains, dans les entrailles des femmes, pour que jaillisse le nouveau-né.