dimanche 9 juin 2013

"Pour voir ton sourire, illuminer la Terre"

J'avais dans mon rétroviseur, ton image
Nous avons pris la route qui serpente la côte.
Il  y avait le bleu de la mer, l'ocre des rochers qui délimitaient notre petite route et le mauve des glycines.
Je crois même que je pourrais encore me les rappeler, quand je ferme les yeux
L'air iodé, la force du vent et la brulure du soleil
Anarchronisme d'enfant, Merveille,tu chantais Petit Papa Noël à tue tête.
Je te répétais que c'était beau, tellement beau, je te voyais rire dans le rétro.
Je voudrais pouvoir te décrire à ce moment là ma plénitude
Je voudrais te dire comme j'étais heureuse, et fière, te dire que je n'ai jamais vu plus beau paysage que tes cheveux au vent, que tes yeux clos sur le chemin du retour, sereine enfant. Te dire combien tu m'as emplis, moi l'ado, la fugitive, la moitié. Elle était loin l'errance, on aurait pu partir, loin, puisque la mer ne s'arretait pas, pas de bornes, pas de frontière. J'étais libre, libre et attachée, à toi.
La radio en fond jouait With or Without you, pour te bercer. Le coeur au bord de l'implosion, brusque synesthésie.
J'aimerai que tu saches, qu'un jour, il y aura des enfants, que tu n'y seras pas étrangère parce que tu m'as appris, les nuits sereines à t'écouter respirer, les étreintes tout contre mon coeur,et regarder devant, toujours.
Tu sais, un jour j'y arriverai. Un jour, je renoncerai pour de bon, parce que mon enfance à moi elle est cuite, on refera pas ce qu'on a pas fait, ce qui n'a pas été dit, ne le sera jamais, je n'aurai plus jamais dix ans. On recommencera pas, on reculera pas, c'est mort. Alors il faut, continuer, je rattraperai mes petites années, je me vengerai sur les tiennes. J'y mettrai mon énergie, mon amour et ma hargne aussi.



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"La caresse et la mitraille, et cette plaie qui nous tiraille ..."

Il est sept heures du mat, je voudrais m'échapper de cette asile, de cette fourmilière où grouillent constamment les blouses blanches pressées et les malades, blafards ou jaunâtre, qui ne se pressent plus, que la nuit ne semble plus emporter et qui, à cette heure matinale, zonent près de la machine à café. Je marche un peu plus vite, j'ai la gerbe de cette vie qui commence aux aurores, de ces gens qui se croisent, se jaugent puis se soignent. Je hâte le pas, fais sonner mon bip et j'entre dans la loge de ce théâtre où chaque jour, les acteurs enfilent à la hâte leur costume. Les casiers sont alignés, bleus, clinquant, je voudrais m'échapper, de cette odeur prenante aussi.
C'est comme dans les livres de Nothomb, ces gens qui affluent, nombreux et anonymes, mécaniques, cette nuée, ce petit peuple.
En ce printemps, je suis affectée au service de néonatalogie.
Je suis une étudiante, leur étudiante.
J'ai ce statut là, je suis, éphémère, inconnue, optionnelle.

Au milieu de l'habituel, ce stage m'offre de discerner des merveilles.
Jade arrive, son petit corps sans teint est encore chaud, sa poitrine se soulève faiblement. On soulève sa tête ensanglantée - le sang de sa mère, encore sur ses cheveux - pendant qu'on insuffle dans ses poumons, un peu d'air. Son corps rosi, Jade vit, revit, je la regarde encore pour y croire et pour réaliser ce qui vient de se passer sous mes yeux ébahis.
Peu après, sa mère, se tient debout aux côtés de son enfant, debout, pour mieux caresser son visage, oubliant qu'il y a une demie heure, Jade avait jaillit, douloureusement de ses entrailles, se frayant une chemin jusqu'à la vie.
Elles étaient là, toutes les deux, et j'ai appris ce jour là, ce qui nous tient debout.
Les parents de E. aussi, penchés sur son petit berceau qui n'osent pas la toucher mais la regardent, amoureusement.
Le petit cahier de M., rempli de dessins d'enfants, dans lequel sa mère, dépeint ses journées et l'amour qu'elle porte à sa si petite enfant. Elle lui a donné la vie et elle la lui insuffle, patiemment, chaque jour.
J'ai le cœur qui se serre, de ses mains qui se touchent, de ces corps qui s'apprivoisent, de ces parents qui rencontrent leur enfant, de ces enfants minuscules lovés dans la poitrine de leur mère.


 
C'était le 4 juin, il a fallu que je dise, à trois inconnus, la peur au ventre, les mains tremblantes, pourquoi, un jour j'aimerai que cela devienne mon métier, pourquoi, toujours, j'aimerai veiller sur les petites vies et sur les liens naissants.
J'aurai voulu leur raconter aussi, comme Merveille avait changé ma vie, leur raconter que je la baignais dans le lavabo, que je lui racontais ma vie, que je lui racontais l'amour, que ma meilleure amie c'est cette môme de trois ans qui me dit "tu es belle" quand je suis en chemise de nuit ,qui rit aux éclats sur la place d'Antibes et qui allume des cierges dans les églises pour les gens qui peuplent ses cieux.