mercredi 9 avril 2014

One day, baby we'll be old

Les mères, animales et blessées, les pères maladroits et touchants. Celui de M. qui murmure à son fils un je t'aime désarmant. Combien je crève pour qu'un jour mon mec dise à notre fils qu'il l'aime sans la peur ridicule et arriérée qu'il "finisse" pédé. Combien j'admire ces hommes qui comprennent que l'amour porté ne détermine par l'orientation sexuelle et que, quand bien même, on s'en cogne pas mal.
Mettre des poupons d'un kilo et des bananes dans les bras de leurs grands-parents enamourés, l'adulte à genoux devant cet infiniment petit, ces fleurs d'amour qui ont éclos avant l'heure.
Les yeux plongés dans leurs grandes billes ouvertes, les bains enveloppés et les bodies taille 42 cm, les petits corps contre mon épaule, humer les cheveux naissants, se rassasier de ces odeurs pour affronter d'autre horreurs.
Bien sûr, c'est pas l'idylle parfois ça fait mal et parfois ça vrille le bide la douleur et la misère. Mais gardons le positif, j'ai pris, avec vous les chatons, de quoi me rassasier de douceur et de candeur.

Les pères qui partent et ceux qui restent. La blessure, encore, balafre réouverte, les petits courent encore dans ma tête à chaque infâmie.
L'Oedipe primitif et tant pis, gourvene les affects en débacles, on les aime, on les aime et on chiale pour L.
On se dit qu'on a les gènes pas faits pour la vie.
Rire avec J. de l'immonde et le rhum qui nous immonde. L'anesthésie où je tombe, l'anesthésie où je sombre. Le grand lit blanc dans lequel j'échoue.
On a le coeur trop baltringue pour supporter la vie.
J. je te regarde comme je suis, enfant de trop d'amour, de trop de mépris. Je te regarde comme je suis, J. hyperesthésique et pudique.

Une bougie brûle et danse devant mes yeux troublés et ce matin, il fallait encore raconter, pourquoi, la mort de l'enfant est un deuil impossible du point de vue de la sociologie et de l'ethnologie. J'ai voulu écrire "pas seulement, pas seulement". Elles courent, courent dans ma tête les lumières des mômes qu'on enserre et puis qui partent. C'est sociologiquement et ethnologiquement inacceptable Mr.S., c'est humainement inconcevable.
Printemps 2014 et le minuscule appartement devenu trop grand, mars et la moisson des pères.
Mon père, il aura cette année le double de mon âge. Je pense à lui, à eux, à ce couple d'ados vifs qu'ils ont formé un jour, il y a si longtemps. A leurs vivotements d'alors, à leur grande vie de prolos. A quoi ils rêvaient putain ? Est-ce que comme moi, à vingt-deux ans, ils rêvaient de fuite, de voyages et d'enfants qu'on porte en dedans, puis à côté, d'amour que l'on fait partout ? Est-ce qu'ils rêvaient d'enfance aussi, de se blottir parfois dans les bras de quelqu'un qui aurait cette odeur familière, de parfum et de mère, de clope, d'alcool et de père.
A la radio, de retour des exams, la radio souffle, "One day Baby we'll be old". Le croire, un jour, on sera vieux si Dieu le veut. On sera vieux et composites de ces galères, ces déchirements, ces espoirs et ces amours. On sera, vieux patchworks de souvenirs, d'amertume et de sentiments.